La nature authentique par Lawrence Cuvelier
En traversant Kinshasa
Nous avions décidé, ce dimanche, d’aller voir le parc de Lola ya Bonobos qui se trouve en périphérie de la capitale, dans la direction de Matadi. Pour cela, il fallait traverser différents quartiers au nom évocateur, tel Ma Campagne, et Delvaux. Avec une alternance de route en très bon état, par exemple la nationale 1, et des routes complètement défoncées. Comme nous sommes en saison des pluies, nous devons nous lancer dans des trous dont nous ne connaissons pas à l’avance la profondeur. A certains endroits, la circulation est très lente, soit à cause d’un marché, un accident de la route ou tout simplement l’état de la route. On peut à loisir contempler les différentes inscriptions aussi chatoyantes dans leurs imaginations que les pagnes des africaines. De petites constructions en béton se juxtaposent, riches en promesses diverses, souvent invoquant la grâce divine, la vertu ou la parole de Dieu pour réparer vos chaussures, vendre des cartes de téléphone. De multiples églises protestantes font des promotions très optimistes. Récemment, des bus publics ont été mis en circulation, en très bon état ils sillonnent fièrement la ville, un consortium privé/public a mis en services de plus petits cars aux même couleurs mais sur lesquels il est inscrit esprit de vie par référence aux innombrables camionnettes chargées sur le toit, sur les pare-chocs et sur les portes surnommés par le kinois « esprit de mort ». Les propriétés sont souvent entourées de hauts murs, et en quittant le centre, des villas entourées de murs et perchées sur les collines alternent avec des bidonvilles dans les vallées. Nous quittons enfin la ville, longeant une rivière et la tristement célèbre voie de chemin de fer Matadi Kinshasa, qui a coûté tant de vie mais qui a permis la colonisation en permettant la construction d’une infrastructure au départ de l’ancienne Léopoldville. Nous avons pénétré dans cette fabuleuse nature exubérante… L’Afrique, son odeur âcre, sa terre rouge de latérite, ses camions qui plongent dans les trous d’eau, ses arbres démesurés, ses fleurs au robes provoquantes et ses oiseaux innombrables. Nous sommes arrivés au paradis des Bonobos. (Lola Bonobo). Nous nous sommes parqués le long d’une rivière qui était sortie de son lit à la faveur de la saison des pluies, de couleur jaune-brun, rejetant dans un grondement ses sédiments d’un terre si prolifique.
Les bonobos ou l’échec de la philosophie de la nature
Nous sommes arrivés dans ce très beau centre où un guide nous a fait découvrir ses singes. Parmi les 4 grands singes, c’est-à-dire, ceux qui ont un cerveau développé et pas de queue…Seul l’Orang-Outan vit à Bornéo. Pendant longtemps, on a confondu chimpanzé et Bonobo qu’on pensait être de petits chimpanzés. Ils se reconnaissent par leurs faces noires, leurs lèvres roses, leurs favoris. Les femelles n’enfantent que tous les 5 ans, pendant 4 ans elles allaitent leurs petits. Elles ont des cycles et des durées d’accouchements similaires à l’espèce humaine et sont sensibles à la plupart des maladies humaines. Par contre, ils font l’amour pratiquement tous les jours, pour apaiser les conflits, ils sont polygames et polyandres, et sont beaucoup moins agressifs que les chimpanzés. Ce sont les femelles qui dirigent le groupe, et si un serpent survient, les mâles se réfugient dans les arbres tandis que les femelles chassent l’intrus à coup de bâtons. Si un petit est orphelin, par exemple quand la mère a été victime de braconnage, seule une maman humaine peut le sauver, ils ne font pas confiances aux hommes, la proximité avec l’espèce humaine est très forte. Nous avons vu différents groupes de bonobos. Leur gestuelle est tout à fait compréhensible pour un homme, la femelle dominante prend du sable en main pour nous le lancer si elle estime que nous lui ne donnons pas assez de fruits. Ce grand primate est pratiquement totalement végétarien, au moins un ! Ces animaux sont touchants, regroupés là dans un but de protection, ce n’est pas leur lieu habituel, qui est plus à l’Est, dans la forêt équatoriale primaire. La visite fut un vrai bonheur, et s’est terminée par un bon repas de tilapia le long de la rivière, encadrés de beaux arbres comme des flamboyants et des manguiers.
Depuis très longtemps, la nature a été un sujet d’inspiration de la philosophie après avoir été l’objet de religions primitives. Il y a eu Lucrèce précurseur du retour à la nature, Rousseau et son homme qui serait universellement bon si la nature était sa seule préceptrice, l’homme est bon, c’est la société qui le corrompt. Goethe fut un adepte de la nature-philosophie qui elle aussi prône l’idéalisation d’une bonne nature. Bien sûr, l’écologie fonde une partie de son élan sur ce côté de bonne nature qui nous sauve. D’un point de vue historique, on peut dire que ces belles théories ont servi parfois de toile de fond à de beaux monstres. Ainsi, le nouvel homme aryen devait être en harmonie avec la nature, s’inspirant de la pureté originelle. On l’ignore souvent, mais les khmers rouges se sont fondés plus sur Rousseau que sur Marx pour vider les villes et éliminer tous les intellectuels. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, mais la religion s’est souvent appuyée sur la nature pour fonder des dogmes ou préceptes. L’église a stigmatisé les mœurs contre nature. De même la morale sexuelle était en partie fondée sur la nature, et longtemps l’acte sexuel, devait selon la religion n’avoir qu’un but, la conception. D’où parfois des familles très nombreuses car très catholiques…Heureux bonobos qui n’ont pas inventé une nature pour faire des lois et des règlements selon leurs fantasmes. La nature est belle, certains y lisent des messages, je préfère la contempler dans sa diversité, elle enseigne sûrement bien des choses, mais d’abord la modestie.